La Galerie Georges Petit
Derrière cette galerie, il y a avant tout deux hommes, les Petit, père et fils. Francis Petit ouvre la galerie en 1846. Personnalité très estimée par Delacroix, le peintre le fait d’ailleurs figurer dans son testament[1]. Avant de promouvoir largement l’Impressionnisme, la galerie se spécialise d’abord dans la recherche et la diffusion des œuvres de l'école de 1830 (Delacroix, Corot, les peintres de l’école de Barbizon et des petits maîtres comme Bonvin, Richard, Ribot). Aussi, son nom est-il inséparable de ces collections fameuses qu'il contribua à former : Moreau-Nélaton et Khalil-Bey, entre autres.
En 1877, à la mort de son père, Georges Petit (11 mars 1856 - 13 mai 1920) reprend le flambeau. Dès 1881, il quitte la rue Laffitte pour s’installer 12, rue Godot de Mauroy, où il restera jusqu’à sa mort. Le magnifique immeuble qui subsiste de nos jours regroupait à la fois la résidence des Petit, l’administration de la galerie, des ateliers d’emballage, plusieurs espaces d’exposition et les ateliers d’imprimerie. En effet comme Goupil, voisin et concurrent dans ce domaine, Petit développe une activité d’éditeur d’estampes, de photogravures, d’héliogravures et de diverses publications artistiques. C’est la galerie qui édite ses catalogues d’exposition. La nouvelle galerie flambant neuve est inaugurée le 18 février 1882 avec l’exposition de la « Société des Aquarellistes français » en présence du président Jules Grévy. Jacques-Emile Blanche décrit la scène dans La pêche aux souvenirs : « Un long vestibule orné de palmiers, l'escalier aux tapis de moquette rouge et, sur chaque marche de l'escalier, des gardes de Paris, en grande tenue, sabre au clair. Les trompettes annoncent l'arrivée du président de la République. Le cortège officiel est suivi par la foule dans la salle principale d'exposition. D'abord on n'aperçoit que les murs tendus d'une étoffe brochée, la cimaise de marbre sous les réflecteurs et un plafond lumineux : les tableaux disparaissent dans cette féerie. Un orchestre caché joue la Marseillaise au passage du président. Mais quand il a fini son tour, la vraie réception va commencer dans l'autre salon où le buffet est dressé. Coquelin l'aîné dira un poème de circonstance. On dansera. »[4] On accède à la salle d’exposition par un escalier monumental au fond d’un couloir dont l’entrée se trouve 8, rue de Sèze. Cet établissement est particulièrement sophistiqué : les sols parquetés sont recouverts de tapis rouges, les murs tendus de velours brun, un ingénieux système de lustres qui s’élève et s’abaisse à volonté. Il y a deux salles d’expositions : la grande galerie (300 m2 avec éclairage zénithal) où Schoeller[5] régnait et la petite qui était le domaine de Jacques Copeau[6] de 1905 à 1909. Ce dernier, à la veille de la fermeture de la galerie, écrit un long article dans la Revue hebdomadaire dans lequel il se souvient de ses quatre années passées au service de Georges Petit. La description de leur première rencontre ne manque pas de saveur : « (…) gros, court, en jaquette, une perle à la cravate, un peu parfumé, un air tout engageant, à la fois finaud, voluptueux et bon enfant (…) tendant vers moi sa main potelée où luisait un diamant il ajouta : « Souvenez-vous bien de ceci qui est capital : personne n’achète de la peinture, on la vend. » « Georges Petit aimait-il la peinture ? Je ne saurais le dire. Il aimait le tableau. Il aimait son métier. Il aimait vendre. Je n’ai jamais connu un pareil vendeur. »[7] Toutes les conditions, vendeurs hors pair, luxueux locaux, quartier à la mode, sont donc réunies pour accueillir et promouvoir les artistes les plus prestigieux. L’histoire le confirmera. Zola aurait qualifié la galerie de « magasins du Louvre de la peinture ». Les salles spacieuses de la galerie permettent de mettre en valeur les œuvres exposées ; on est loin de l’accumulation des toiles perdues dans la cohue des Salons. Sans aucun doute, nous pouvons supposer que le prestige des locaux rejaillit sur la « Société Nouvelle ». Et de fait, cette galerie sera un véritable pôle culturel où l’on se rencontre et se côtoie. Jacques Copeau en fait son fief, « la petite galerie carrée ne tarda pas à devenir une espèce de centre littéraire »[8] lorsque avec Gide ils ont l’idée de donner naissance à la NRF. Dans ce long article, il confirme l’opinion généralement admise sur cette galerie : elle est le dernier endroit à la mode où l’on se doit d’être ; chaque manifestation sert de point de ralliement au « monde » : « Oui, j’ai bien conscience d’avoir fait dans ces murs, pour une grande part, mon apprentissage du monde. Pêle-mêle, je l’ai tenu dans mes bras, je l’ai pressé sur mon cœur. Aux jours des grandes ventes ou des grands vernissages, il nous piétinait. La richesse, les femmes, le parfum, la vanité, l’attrait, l’ambition, la fièvre, l’envie, la beauté, la sottise, la cupidité, le mystère, les masques de la mode et les nouvelles de l’heure, tout cela déferlait sur moi, entrait, sortait, bruissait, tourbillonnait (…). »[9] C’est une sérieuse concurrence qui se présente pour l’autre grande galerie parisienne qui n’a plus, loin s’en faut, à faire ses preuves, celle de Durand-Ruel. Le symbole est fort, la galerie Petit s’est ouverte avec l’exposition des Aquarellistes qui, depuis 1879, exposaient chez Durand-Ruel. La rivalité sera constante. Pourtant, les deux galeristes vont tout de même faire ensemble la vente de l’atelier de Manet en 1884. Dans le cas qui nous occupe cette lutte a son importance. En 1903, la « Société Nouvelle » fait une infidélité à Georges Petit en exposant dans les salles de Durand-Ruel. Mais cet écart, ne se renouvellera pas et elle finira par rester fidèle à Petit jusqu’au bout. En plus de l’Ecole de Barbizon, l’autre cheval de bataille de la galerie Petit sera, comme pour Durand-Ruel, l’Impressionnisme. Elle va gagner sa célébrité pour sa responsabilité dans la diffusion du mouvement. L’apogée des manifestations impressionnistes chez Georges Petit se situe dans les années 1886 et 1887 ; Monet, Renoir, Sisley, Whistler, Morisot, Rodin, Raffaëlli y figurent. En 1889, Monet et Rodin s’associent pour une exposition commune, Monet montrant alors pour la première fois l’ensemble de son œuvre (1864-1889). En 1892, la galerie propose les rétrospectives de Renoir et de Pissarro et en 1897 celle de Sisley. Sisley signalera à Octave Maus qu’il « n’expose plus que chez Petit et à la Société nationale des Beaux-Arts ».[10] A sa mort deux ans plus tard, Petit organisera une vente au profit des enfants du peintre. Une autre particularité alimentera la prospérité de la galerie. Elle saura, très vite (dès 1882), ouvrir ses cimaises aux peintres étrangers (Edelfelt[11], Egusquiza, Harrison, Heyerdahl, Kröyer, Larsson, Leibl, Liebermann, Pokitonov, Verwée, Whistler (en 1883)). Néanmoins ce sont les Français qui y sont le plus exposés. Pendant plus de cinquante ans, la galerie Georges Petit accueillera les artistes et groupes les plus connus du moment : Les « Trente-trois » (mai 1882), Levy-Dhurmer, Meissonier (1884 et 1893), Monet (1898 : présentation de ses toiles récentes), la première exposition de dessins et de manuscrits de Victor Hugo à Paris (1903), Henri Gervex (1905), Gustave Moreau (1906), la « Société de la Gravure en couleur », les « Cinquante » (1908), la « Société des peintres du Paris Moderne » (1911), Ingres (1911), les Aquarellistes (1905, 1917), les Pastellistes (1890, 1911, 1914, 1921)… Le mariage des genres les plus éclectiques proposé par cette galerie, fera son succès : Barbizon, Impressionnisme, étrangers, « Société Nouvelle »…. Le public s’y retrouve parce qu’au fond il y en a pour tous les goûts. « Pourtant l’image d’activité intense, de prospérité de Georges Petit doit être quelque peu nuancée. Malgré ses capitaux propres, il a toujours été dépendant de commanditaires qu’on connaît mal. Il a eu ses périodes difficiles (notamment en mars 1886), mais Petit les surmontera. Lorsqu’il meurt, sa fortune se situe, selon les statistiques, dans la moyenne haute maximum parmi les valeurs mobilières qu’il détient, celles de la Société des Galeries Georges Petit passées par le jeu des majorités à Berheim-Jeune, qui avait des intérêts dans la maison dès avant 1900, survivront d’ailleurs à leur hauteur sous la direction de l’expert Schoeller jusqu’à la dissolution de la Société en 1933 (ventes des 27 avril, 10 mai, 27-28 octobre, et 15 décembre 1933) ».[12] Les membres de la « Société Nouvelle » qui ont vu leur popularité s’accroître grâce à la galerie, dès leur participation au « Trente-trois » ou à « l’Exposition Internationale de Peinture et de Sculpture », lui resteront fidèles après la guerre. Ils y exposent toujours jusque dans les années 20. Après 1920, à la mort de Georges Petit, l’activité de la galerie s’essouffle. En 1930, lorsque Gaston Bernheim-Jeune en prend le contrôle, il tente de renouveler l’effort et le brio du premier fondateur en exposant, pour ne citer qu’eux, Corot (1926 - vente cessation d’indivision), Pissarro (1928), Degas (1924), Dali (1932), Matisse (1931), Picasso (1932). Mais les efforts restent vains et en 1933, la galerie ferme définitivement ses portes. Dans le cadre de la dissolution de la société anonyme Galeries Georges Petit (3e vente), 158 aquarelles signées Auguste Rodin et venant du stock de la galerie firent l'objet d'une vente aux enchères publiques à l'hôtel Drouot à Paris les 27 et 28 octobre 1933. [1] Sophie MONNERET.- L'Impressionnisme et son époque, vol. 1 (A-L) et 2 (M-T).- Paris : Editions Denoël, 1979, vol. 2, p. 116. [4] J-E. BLANCHE.- La pêche aux souvenirs.- Paris : Flammarion, 1949. p. 177. [5] André Schoëller (1881 - 1955) : Marchand de tableaux puis expert, il débuta comme secrétaire (1902-1903) à la Galerie Georges Petit dont il devint le sous-directeur, puis après-guerre le directeur. Il quitte la galerie en 1930. Il continue à être expert dans les ventes publiques de 1927 à 1952. [7] Jacques COPEAU, « La Galerie Georges Petit », Revue Hebdomadaire, n°47, 1er novembre 1929, p. 390.. [8] Jacques COPEAU, Ibid., p. 395. [9] Jacques COPEAU, Ibid., p. 392. [10] Sophie MONNERET, IBid., p. 116. [12] Anne DISTEL.- Les collectionneurs des Impressionnistes.- Paris : La bibliothèque des arts, 1989. p. 36-39. |
|