Charles Despiau
DESPIAU, Charles (Mont-de-Marsan, 4 novembre 1874 - 28 octobre 1946) :
Despiau est issu d’une famille modeste, son père et son grand-père étaient plâtriers, sa mère fille d’un tapissier décorateur. Son professeur de dessin à l’Ecole Victor Duruy[1], décelant un futur talent[2], lui procure une bourse pour se rendre d’abord à l’École des Arts décoratifs en 1892, comme apprenti sculpteur chez Hector Lemaire (ancien élève de Carpeaux). Il entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1894, dans l’atelier de Louis Barrias, comme Ségoffin. En en sortant en 1901, il vit modestement en faisant mille petits travaux ; il a entre autres tâches dû colorier des cartes postales ; sa femme Marie participe au ménange en confectionnant des fleurs en tissu. Jusqu’à son succès américain en 1927,[3] ses conditions d’existence sont très précaires.
Il débute en 1898 au Salon des Artistes français, quitté en 1901, pour celui de la Société Nationale qui l’élit associé en 1902 et sociétaire en 1904. Il y exposa fidèlement jusqu’en 1923 ; il le quitte pour le Salon d'Automne, puis pour le Salon des Tuileries dont il est un des fondateurs et où il expose régulièrement de 1923 à 1944.
Au Salon de la Nationale en 1903, Despiau expose La Convalescence et Petite fille des Landes tout de suite remarquées et admirées par Rodin. Mais ce n’est qu’en 1907, séduit par le plâtre Paulette, qu'il demandera à celui qui n'est déjà plus un jeune homme (Despiau a alors trente quatre ans) de venir travailler pour lui à son atelier du dépôt des marbres. Despiau accepte, à la condition qu’il travaillera en gardant sa propre sensibilité qu'il estime être différente de celle de Rodin ; celui-ci accepte. « Rien de plus curieux, au reste, que la collaboration de ces deux artistes, que la confrontation de cette œuvre en fusion avec cette œuvre si sereine. »[4] L’admiration et le respect sont mutuels. Jusqu’en 1914 il y occupe une place éminente, devenant non seulement un de ses praticiens les plus estimés, mais également un proche. On lui connaît l’exécution du portrait en marbre de Mme Elisseieff - ce marbre est exposé au Salon de 1909 où il rencontre un grand succès - et celui du bactériologiste russe Gabritchevski d’après les bronzes de Rodin. Il est aussi l’auteur d’un marbre inachevé[5], portrait de Puvis de Chavannes, Le génie du repos éternel, du monument commandé à Rodin dès 1899.
Néanmoins,
« Despiau est un des rares artistes ayant vécu dans l’intimité de Rodin sans subir passivement son influence. Bien qu’il se soit pénétré de l’esprit du maître, il a su échapper avec un sens de la mesure que nous n’hésiterons pas à qualifier d’exceptionnel, à ce vil esclavage où se complaisent jusqu’à ce jour de nombreux élèves et contrefacteurs du grand homme. Aussi est-il le seul sculpteur moderne qui ait compris le sens de la leçon de Rodin et qui ait tiré parti de son enseignement ».[6]
C’est Rodin qui lui aurait fait obtenir le 20 octobre 1911 la rosette de Chevalier de la légion d’honneur. Pendant la guerre, mobilisé, il exerce les fonctions de sergent fourrier puis est envoyé à la section « camouflage »[7]. Il reprend son travail après la guerre et progressivement, sans ni le vouloir ni le chercher, acquiert une grande renommée venue tardivement à la suite de plusieurs expositions. A la suite de sa participation avec succès à la grande exposition en 1925, des Arts Décoratifs, les commanditaires commencent à se manifester et la carrière du sculpteur prend un nouveau départ. Les Etats-Unis lui ouvrent largement ses portes : 1927 et 1929 à New-York, 1928 à Buffalo.
Enfin, dans les années 30, et surtout après 1937, son succès est complet. Il devient le « chef de file de l’Art indépendant »[8], du nom de la grande exposition des « Maîtres de l’Art Indépendant » qui a lieu au Musée du Petit-Palais où il expose une cinquantaine de sculptures qui font l’unanimité, en parallèle à l’Exposition Internationale de 1937[9].
Despiau n’a jamais cherché cette gloire. Il ne la refusa pas mais elle ne l’intéressait pas et ne changera en rien sa façon modeste de vivre. Il fait seulement construire, en 1930, l’atelier de la rue Brillat-Savarin (où une grande partie de ses archives est encore conservée) et s’achète une maison dans son pays natal, les Landes.
En 1923, à la demande de son ami d’enfance Robert Wlerick, il corrige à l’Ecole de la Grande Chaumière à Montparnasse. Il prodigue plus des conseils qu’il ne donne de cours proprement dits. La même année il devient vice-président du Salon des Tuileries. Entre 1927 et 1936, il donne également des cours à l’Académie scandinave[10] ou Maison Watteau (elle aussi à Montparnasse, rue Jules Chaplain, ancien atelier de Watteau) où professent également Otto Grunewald, Adam Fischer et ses amis Othon Friesz, Henri de Waroquier et Charles Dufresnes. En 1926, il devient Officier de la légion d’honneur.
L’œuvre de Despiau est surtout constituée de portraits. Le buste devient son mode d’expression privilégié. Il produit peu. Une trentaine de bustes composent le principal de sa carrière, avec quelques pièces de grandes dimensions comme Spleen (1902),[11] la Convalescente (1903), Madame Etienne (1913), dite aussi la Dame au nez pointu, la Liseuse pour le Monument Duruy à Mont-de-Marsan. Nous pouvons aussi citer encore les œuvres commandées en 1910 par l’Argentine, Circé[12] et l’Eloquence pour la ville de Buenos Aires.[13]
Mais Despiau n’est pas seulement l’auteur de bustes admirables. On lui doit des nus souples lorsqu’ils sont féminins et virils lorsqu’ils sont masculins. « Son Bacchus et son Apollon, chefs-d’œuvre de la fin de sa vie, sont élégants, robustes, rayonnants comme des athlètes grecs. »[14]
Cet Apollon fut la dernière œuvre que lui commanda l’État en 1936 pour l’Exposition de 1937. Elle devait être fondue en un bronze de six mètres et érigée sur le parvis du Musée d’Art Moderne, à Paris. Il était prévu que la statue y soit placée fin 1938, à l’achèvement du musée. Elle ne fut jamais prête et finie à temps et fut remplacée par Salut de la France aux Alliés, de Bourdelle.
L’équilibre classique, la sérénité, le calme, les ordonnances simples mis en évidence par un style personnel, nerveux et aigu ont classé la sculpture de Despiau avec celle de la « Bande à Schnegg ». Il connaît Lucien Schnegg par l’intermédiaire de Rodin ; il est sensible à son œuvre et ses théories.
Il fut l’ami de Segonzac, Friesz, Vlaminck et Derain[15]. Blanche, son fervent défenseur, le soutien lorsqu’il est refusé à l’Institut en 1941.
Des évènements fâcheux vont ternir l’image de l’artiste. En 1941, le jeune sculpteur Breker, protégé d'Hitler, vient lui rendre visite. Il est à Paris pour organiser un voyage afin de regrouper les grands noms de l'art français, périple qui devait les mener à travers l'Allemagne afin de constater les efforts du Führer envers ses artistes. Ceux qui n'ont guère d'antipathie pour le régime allemand cèdent facilement, d’autant qu’il est prévu que, si le voyage est bien effectué, Hitler fera libérer une centaine de mouleurs, praticiens, artistes prisonniers de guerre. L'argument est suffisamment fort pour convaincre les réticences de ceux qui n'ont pas conscience de la propagande cachée, comme Despiau certainement. Despiau n'a jamais manifesté beaucoup d’intérêt pour la politique, mais il fut, comme toute sa génération, marqué par l’hécatombe de la première guerre mondiale. Il tient à une union internationale et pacifique des artistes. Il accepte donc ce voyage. Derain, Vlaminck, Van Dongen, Dunoyer de Segonzac, Friesz, Legueult, Oudot, probablement l'éditeur Flammarion, en font également partie. Il signe aussi un livre sur l’exposition de Breker qui a lieu en 1942 à l’Orangerie, acceptée par le gouvernement Pétain. A la Libération, menacé d'un procès d'épuration, rejeté par tous, il ne peut plus vendre ni exposer. Anéanti par le chagrin et le remords, très affaibli, il meurt d’une congestion pulmonaire, le 28 octobre 1946. Son corps est transporté à Mont-de-Marsan, où il est enterré quasi-clandestinement dans le caveau familial.
Ses oeuvres figurent à l’inventaire de très nombreux musées : Centre Georges Pompidou, Petit Palais à Paris, Musées de Boulogne sur Seine, Bordeaux, Lyon, Grenoble, Albi,... pour la France. Ayant souvent exposé à l’étranger, on les trouve dans une centaine de musées et fondations à l’étranger (dans plus de trente pays), dont une quarantaine de musées aux Etats-Unis, qui, dès 1927, a su reconnaître son talent (Metropolitan Museum, Museum of Modern Art de New York), et au Kunsthaus de Zurich, Stedelijk Museum d’Amsterdam... Le Musée National des Beaux-Arts d’Alger peut s’enorgueillir de près de trente pièces, grâce au legs consenti par Madame Despiau. Mais la plus grande collection est néanmoins rassemblée à Mont-de-Marsan, sa ville natale, où un musée lui est consacré avec son ami d’enfance Wlérick.
[1] En 1907-1909, sa ville natale, Mont-de-Marsan ville lui commande un monument « Victor Duruy » et un monument aux morts en 1920-1922.
[2] C’est lui aussi qui découvre celui de Wlérick.
[3] Franck Crowninshield, richissime américain, rédacteur en chef du Vanity Fair, se prend d’une véritable passion pour l’œuvre de Despiau dont il devient le mécène attitré en lui achetant un exemplaire de toutes ses œuvres disponibles et celle à venir. Il l’expose même à plusieurs reprises (1929, New-York ; 1932, Chicago).
[4] Jacques GUENNE « Charles Despiau », L’art vivant, 15 mars 130, p. 234
[5] Le travail est interrompu en août 1914. A la mort de Rodin, en novembre 1917, l’œuvre n’est pas terminée. A son retour, Despiau refuse de continuer sans l’avis du maître dont il ne veut trahir la pensée. En 1924, l’ancien praticien de Rodin, Desbois, réalise une commande pour un Monument à Puvis de Chavannes en s’inspirant de premier jet du maître.
[6] George Waldemar, « Despiau », Feuillets d'Art(Recueil de littérature et d'art contemporains), 1921, deuxième année, n° I, p. 35.
[7] Section où sont regroupés des artistes à qui l'on demande de peindre sur de grands panneaux de raphia des toiles en trompe-l'oeil destinées à égarer l'ennemi.
[8] Elisabeth LEBON, thèse d’Etat « Charles Despiau (1874-1946), catalogue raisonné de l’œuvre sculptée ». Paris I Sorbonne, 1995. p. 64.
[9] On lui avait commandé une statue colossale de cinq mètres cinquante de hauteur qui devait orner le palais de Tokyo. Il ne livrera pas à temps son Apollon, voulant prendre son temps. Il mettra dix ans à le terminer.
[10] En 1929, Maria-Helena Vieira da Silva fera un passage à cette Académie dans l'atelier de Despiau.
[11] « Quand je modelais Spleen, puis Convalescente, j’étais sous l’influence du Balzac de Rodin. Non seulement cette oeuvre géniale me confirme dans mon antipathie contre les draperies d’école, mais j’y admirai l’éloquence d’un grand volume sans détails mesquins et surtout j’y trouvai un encouragement à voir de mes propres yeux en oubliant tout formule, toute habitude. » in : Léon DESHAIRS.- C. Despiau.- Paris : Editions Grès et Cie, 1930. p. 36-37.
[12] En 1925, il retravaille cette sculpture pour la renommer la Faunesse et l’expose dans les jardins de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs. Elle lui ouvre les portes d’un certain succès public.
[13] L’Argentine était une grande admiratrice de Despiau promu par Rodolfo Alcorta, conseiller culturel de l’ambassade d’Argentine à Paris.
[14] Charles KUNSTLER.- La Sculpture contemporaine, 1900-1960.- Paris : Editions de l’illustration, 1961. Volume 1, Sculpture française. 12 p. 44 pl.
[15] Dans les années 20, ces amis le mettent en contact avec des marchands qui lui permet peu à peu de retrouver quelques revenus réguliers. Il est mis sous contrat par la galerie Barbazanges, expose régulièrement et reçoit enfin des commandes.
- Participations : 1910, 1911, 1912, 1913.
Despiau est issu d’une famille modeste, son père et son grand-père étaient plâtriers, sa mère fille d’un tapissier décorateur. Son professeur de dessin à l’Ecole Victor Duruy[1], décelant un futur talent[2], lui procure une bourse pour se rendre d’abord à l’École des Arts décoratifs en 1892, comme apprenti sculpteur chez Hector Lemaire (ancien élève de Carpeaux). Il entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1894, dans l’atelier de Louis Barrias, comme Ségoffin. En en sortant en 1901, il vit modestement en faisant mille petits travaux ; il a entre autres tâches dû colorier des cartes postales ; sa femme Marie participe au ménange en confectionnant des fleurs en tissu. Jusqu’à son succès américain en 1927,[3] ses conditions d’existence sont très précaires.
Il débute en 1898 au Salon des Artistes français, quitté en 1901, pour celui de la Société Nationale qui l’élit associé en 1902 et sociétaire en 1904. Il y exposa fidèlement jusqu’en 1923 ; il le quitte pour le Salon d'Automne, puis pour le Salon des Tuileries dont il est un des fondateurs et où il expose régulièrement de 1923 à 1944.
Au Salon de la Nationale en 1903, Despiau expose La Convalescence et Petite fille des Landes tout de suite remarquées et admirées par Rodin. Mais ce n’est qu’en 1907, séduit par le plâtre Paulette, qu'il demandera à celui qui n'est déjà plus un jeune homme (Despiau a alors trente quatre ans) de venir travailler pour lui à son atelier du dépôt des marbres. Despiau accepte, à la condition qu’il travaillera en gardant sa propre sensibilité qu'il estime être différente de celle de Rodin ; celui-ci accepte. « Rien de plus curieux, au reste, que la collaboration de ces deux artistes, que la confrontation de cette œuvre en fusion avec cette œuvre si sereine. »[4] L’admiration et le respect sont mutuels. Jusqu’en 1914 il y occupe une place éminente, devenant non seulement un de ses praticiens les plus estimés, mais également un proche. On lui connaît l’exécution du portrait en marbre de Mme Elisseieff - ce marbre est exposé au Salon de 1909 où il rencontre un grand succès - et celui du bactériologiste russe Gabritchevski d’après les bronzes de Rodin. Il est aussi l’auteur d’un marbre inachevé[5], portrait de Puvis de Chavannes, Le génie du repos éternel, du monument commandé à Rodin dès 1899.
Néanmoins,
« Despiau est un des rares artistes ayant vécu dans l’intimité de Rodin sans subir passivement son influence. Bien qu’il se soit pénétré de l’esprit du maître, il a su échapper avec un sens de la mesure que nous n’hésiterons pas à qualifier d’exceptionnel, à ce vil esclavage où se complaisent jusqu’à ce jour de nombreux élèves et contrefacteurs du grand homme. Aussi est-il le seul sculpteur moderne qui ait compris le sens de la leçon de Rodin et qui ait tiré parti de son enseignement ».[6]
C’est Rodin qui lui aurait fait obtenir le 20 octobre 1911 la rosette de Chevalier de la légion d’honneur. Pendant la guerre, mobilisé, il exerce les fonctions de sergent fourrier puis est envoyé à la section « camouflage »[7]. Il reprend son travail après la guerre et progressivement, sans ni le vouloir ni le chercher, acquiert une grande renommée venue tardivement à la suite de plusieurs expositions. A la suite de sa participation avec succès à la grande exposition en 1925, des Arts Décoratifs, les commanditaires commencent à se manifester et la carrière du sculpteur prend un nouveau départ. Les Etats-Unis lui ouvrent largement ses portes : 1927 et 1929 à New-York, 1928 à Buffalo.
Enfin, dans les années 30, et surtout après 1937, son succès est complet. Il devient le « chef de file de l’Art indépendant »[8], du nom de la grande exposition des « Maîtres de l’Art Indépendant » qui a lieu au Musée du Petit-Palais où il expose une cinquantaine de sculptures qui font l’unanimité, en parallèle à l’Exposition Internationale de 1937[9].
Despiau n’a jamais cherché cette gloire. Il ne la refusa pas mais elle ne l’intéressait pas et ne changera en rien sa façon modeste de vivre. Il fait seulement construire, en 1930, l’atelier de la rue Brillat-Savarin (où une grande partie de ses archives est encore conservée) et s’achète une maison dans son pays natal, les Landes.
En 1923, à la demande de son ami d’enfance Robert Wlerick, il corrige à l’Ecole de la Grande Chaumière à Montparnasse. Il prodigue plus des conseils qu’il ne donne de cours proprement dits. La même année il devient vice-président du Salon des Tuileries. Entre 1927 et 1936, il donne également des cours à l’Académie scandinave[10] ou Maison Watteau (elle aussi à Montparnasse, rue Jules Chaplain, ancien atelier de Watteau) où professent également Otto Grunewald, Adam Fischer et ses amis Othon Friesz, Henri de Waroquier et Charles Dufresnes. En 1926, il devient Officier de la légion d’honneur.
L’œuvre de Despiau est surtout constituée de portraits. Le buste devient son mode d’expression privilégié. Il produit peu. Une trentaine de bustes composent le principal de sa carrière, avec quelques pièces de grandes dimensions comme Spleen (1902),[11] la Convalescente (1903), Madame Etienne (1913), dite aussi la Dame au nez pointu, la Liseuse pour le Monument Duruy à Mont-de-Marsan. Nous pouvons aussi citer encore les œuvres commandées en 1910 par l’Argentine, Circé[12] et l’Eloquence pour la ville de Buenos Aires.[13]
Mais Despiau n’est pas seulement l’auteur de bustes admirables. On lui doit des nus souples lorsqu’ils sont féminins et virils lorsqu’ils sont masculins. « Son Bacchus et son Apollon, chefs-d’œuvre de la fin de sa vie, sont élégants, robustes, rayonnants comme des athlètes grecs. »[14]
Cet Apollon fut la dernière œuvre que lui commanda l’État en 1936 pour l’Exposition de 1937. Elle devait être fondue en un bronze de six mètres et érigée sur le parvis du Musée d’Art Moderne, à Paris. Il était prévu que la statue y soit placée fin 1938, à l’achèvement du musée. Elle ne fut jamais prête et finie à temps et fut remplacée par Salut de la France aux Alliés, de Bourdelle.
L’équilibre classique, la sérénité, le calme, les ordonnances simples mis en évidence par un style personnel, nerveux et aigu ont classé la sculpture de Despiau avec celle de la « Bande à Schnegg ». Il connaît Lucien Schnegg par l’intermédiaire de Rodin ; il est sensible à son œuvre et ses théories.
Il fut l’ami de Segonzac, Friesz, Vlaminck et Derain[15]. Blanche, son fervent défenseur, le soutien lorsqu’il est refusé à l’Institut en 1941.
Des évènements fâcheux vont ternir l’image de l’artiste. En 1941, le jeune sculpteur Breker, protégé d'Hitler, vient lui rendre visite. Il est à Paris pour organiser un voyage afin de regrouper les grands noms de l'art français, périple qui devait les mener à travers l'Allemagne afin de constater les efforts du Führer envers ses artistes. Ceux qui n'ont guère d'antipathie pour le régime allemand cèdent facilement, d’autant qu’il est prévu que, si le voyage est bien effectué, Hitler fera libérer une centaine de mouleurs, praticiens, artistes prisonniers de guerre. L'argument est suffisamment fort pour convaincre les réticences de ceux qui n'ont pas conscience de la propagande cachée, comme Despiau certainement. Despiau n'a jamais manifesté beaucoup d’intérêt pour la politique, mais il fut, comme toute sa génération, marqué par l’hécatombe de la première guerre mondiale. Il tient à une union internationale et pacifique des artistes. Il accepte donc ce voyage. Derain, Vlaminck, Van Dongen, Dunoyer de Segonzac, Friesz, Legueult, Oudot, probablement l'éditeur Flammarion, en font également partie. Il signe aussi un livre sur l’exposition de Breker qui a lieu en 1942 à l’Orangerie, acceptée par le gouvernement Pétain. A la Libération, menacé d'un procès d'épuration, rejeté par tous, il ne peut plus vendre ni exposer. Anéanti par le chagrin et le remords, très affaibli, il meurt d’une congestion pulmonaire, le 28 octobre 1946. Son corps est transporté à Mont-de-Marsan, où il est enterré quasi-clandestinement dans le caveau familial.
Ses oeuvres figurent à l’inventaire de très nombreux musées : Centre Georges Pompidou, Petit Palais à Paris, Musées de Boulogne sur Seine, Bordeaux, Lyon, Grenoble, Albi,... pour la France. Ayant souvent exposé à l’étranger, on les trouve dans une centaine de musées et fondations à l’étranger (dans plus de trente pays), dont une quarantaine de musées aux Etats-Unis, qui, dès 1927, a su reconnaître son talent (Metropolitan Museum, Museum of Modern Art de New York), et au Kunsthaus de Zurich, Stedelijk Museum d’Amsterdam... Le Musée National des Beaux-Arts d’Alger peut s’enorgueillir de près de trente pièces, grâce au legs consenti par Madame Despiau. Mais la plus grande collection est néanmoins rassemblée à Mont-de-Marsan, sa ville natale, où un musée lui est consacré avec son ami d’enfance Wlérick.
[1] En 1907-1909, sa ville natale, Mont-de-Marsan ville lui commande un monument « Victor Duruy » et un monument aux morts en 1920-1922.
[2] C’est lui aussi qui découvre celui de Wlérick.
[3] Franck Crowninshield, richissime américain, rédacteur en chef du Vanity Fair, se prend d’une véritable passion pour l’œuvre de Despiau dont il devient le mécène attitré en lui achetant un exemplaire de toutes ses œuvres disponibles et celle à venir. Il l’expose même à plusieurs reprises (1929, New-York ; 1932, Chicago).
[4] Jacques GUENNE « Charles Despiau », L’art vivant, 15 mars 130, p. 234
[5] Le travail est interrompu en août 1914. A la mort de Rodin, en novembre 1917, l’œuvre n’est pas terminée. A son retour, Despiau refuse de continuer sans l’avis du maître dont il ne veut trahir la pensée. En 1924, l’ancien praticien de Rodin, Desbois, réalise une commande pour un Monument à Puvis de Chavannes en s’inspirant de premier jet du maître.
[6] George Waldemar, « Despiau », Feuillets d'Art(Recueil de littérature et d'art contemporains), 1921, deuxième année, n° I, p. 35.
[7] Section où sont regroupés des artistes à qui l'on demande de peindre sur de grands panneaux de raphia des toiles en trompe-l'oeil destinées à égarer l'ennemi.
[8] Elisabeth LEBON, thèse d’Etat « Charles Despiau (1874-1946), catalogue raisonné de l’œuvre sculptée ». Paris I Sorbonne, 1995. p. 64.
[9] On lui avait commandé une statue colossale de cinq mètres cinquante de hauteur qui devait orner le palais de Tokyo. Il ne livrera pas à temps son Apollon, voulant prendre son temps. Il mettra dix ans à le terminer.
[10] En 1929, Maria-Helena Vieira da Silva fera un passage à cette Académie dans l'atelier de Despiau.
[11] « Quand je modelais Spleen, puis Convalescente, j’étais sous l’influence du Balzac de Rodin. Non seulement cette oeuvre géniale me confirme dans mon antipathie contre les draperies d’école, mais j’y admirai l’éloquence d’un grand volume sans détails mesquins et surtout j’y trouvai un encouragement à voir de mes propres yeux en oubliant tout formule, toute habitude. » in : Léon DESHAIRS.- C. Despiau.- Paris : Editions Grès et Cie, 1930. p. 36-37.
[12] En 1925, il retravaille cette sculpture pour la renommer la Faunesse et l’expose dans les jardins de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs. Elle lui ouvre les portes d’un certain succès public.
[13] L’Argentine était une grande admiratrice de Despiau promu par Rodolfo Alcorta, conseiller culturel de l’ambassade d’Argentine à Paris.
[14] Charles KUNSTLER.- La Sculpture contemporaine, 1900-1960.- Paris : Editions de l’illustration, 1961. Volume 1, Sculpture française. 12 p. 44 pl.
[15] Dans les années 20, ces amis le mettent en contact avec des marchands qui lui permet peu à peu de retrouver quelques revenus réguliers. Il est mis sous contrat par la galerie Barbazanges, expose régulièrement et reçoit enfin des commandes.